Encourager le pluralisme en économie: c’est le message que nous retenons de cette rencontre avec Clarisse van Tichelen, économiste au Conseil central de l’économie et lauréate Cooperative Sustainable Economy 2016, et Flora Kocovski, directrice de la Sowecsom et membre du jury. Quels sont leurs arguments pour cela?

Elles commencent par leur définition des enjeux du développement durable dans le secteur de l’économie. Flora Kocovski résume en une idée, centrale dans son travail à la Sowecsom: remettre l’homme au centre des préoccupations de l’entreprise. "Ce sur quoi je me concentre, ce sont toutes ces manières d’entreprendre autrement, avec une finalité différente que celle du profit personnel, avec des modes de gouvernance plus démocratiques". Clarisse van Tichelen souligne quant à elle trois enjeux principaux: réduire les inégalités socio-économiques, respecter les limites de la planète, et sortir de la logique de la croissance. "On vit dans une planète qui est finie, et cela, on ne pourra jamais le changer. Dedans, il y a une société avec des humains qui vivent, et il faut que tous ces humains puissent vivre de manière digne. Et pour y arriver, on utilise l’économie comme outil pour avoir une acquisition des biens matériels qui soit digne pour tout le monde".

Pour répondre aux enjeux que l’on vient de citer, et qui représentent les défis du 21ème siècle, comment permettre aux étudiants d’avoir une vision du développement durable ? "Dans l’enseignement et dans la recherche globalement, on voit encore souvent l’économie sous le prisme de la logique de la croissance comme réponse à tous les défis" estime Clarisse van Tichelen, "et pour moi, il faut sortir de ce prisme-là, pour arriver à répondre aux enjeux d’un développement soutenable". L’économie ne se réduit pas à la logique qui domine actuellement : il y a d’autres façons de faire et de penser l’économie qui peuvent répondre aux enjeux économiques et sociaux d’aujourd’hui. "Il faut donc encourager tout ce qui est pluralisme des pensées dans l’enseignement". Avoir plus de pluralisme dans les cours en économie permettrait par ailleurs de développer l’esprit critique des étudiants, qui pourraient ensuite se faire leur propre opinion et suivre leur façon de penser l’économie. "En diversifiant les façons de penser, on abordera aussi plus d’enjeux qu’on ne traite pas forcément pour l’instant", poursuit Clarisse van Tichelen.

Flora Kocovski donne son point de vue nuancé sur l’enseignement de l’économie : "A l’époque où j’ai fait mes études dans le domaine économique et financier, la seule manière de s’investir avec des finalités autres que le profit personnel, c’était de travailler dans la coopération au développement. Le développement chez nous n’était pas questionné. Au sein des structures où nous avons eu nos premiers jobs, les finalités sociales et environnementales n’étaient absolument pas envisagées. Depuis quelques années, il me semble que ces enjeux-là émergent dans l’économie réelle, dans la recherche et l’enseignement". Pour l’enseignement, elle mentionne la Chaire en Entreprenariat & Innovation Sociale de l’ULg, soutenue par la Sowecsom, et le master en Management des entreprises sociales au sein de la même université. "Cette spécialisation a le même statut que la spécialisation en marketing, en finance, en gestion des ressources humaines", commente-t-elle. Les étudiants ont l’occasion de se rendre compte qu’une entreprise peut poursuivre  une finalité sociétale tout en étant rentable. "Nous voulons de futurs entrepreneurs qui intègrent les dimensions sociales et environnementales dans leur manière de travailler, et qu’ils se dirigent vers ce genre d’entreprises ou qu’ils en créent. Les filières uniques classiques ne sont plus en phase avec les valeurs qui semblent aujourd’hui essentielles, avec une quête de sens extrêmement transversale", estime-t-elle.

Une quête de sens bien présente chez les jeunes générations. Clarisse van Tichelen, dans son mémoire de master en économie à l’UCL primé aux HERA Awards 2016, a interrogé la notion de « communs », proposée par Elinor Ostrom (prix Nobel d’économie, 2009), appliquée aux potagers urbains de la Région bruxelloise. Elle a voulu savoir si, à la lueur de cette notion, les potagers collectifs s’avèrent des outils efficaces vers une transition sociale et écologique, et a étudié leur mode de gestion. "L’analyse faite par Clarisse van Tichelen est extrêmement concrète. Elle montre que ces types de projets constituent une activité économique à part entière", commente Flora Kocovski, qui était membre du jury en 2016. "Sur notre territoire et dans l’état d’avancement actuel, cela a une capacité faible en termes de volume de production, et de potentiel de transformation économique. Mais de tels projets citoyens peuvent redynamiser une ville entière et apporter une vraie réponse à un besoin alimentaire, comme on le voit par exemple dans la ville de Détroit, aux Etats-Unis. En Belgique aussi, ces projets pourraient prendre de l’ampleur."
 

Qui sont Clarisse van Tichelen et Flora Kocovski?

Clarisse Van Tichelen

Clarisse Van Tichelen est la lauréate 2016 du Master Thesis Award Cooperative Sustainable Economy. Elle travaille actuellement au Conseil central de l’économie. "L’économie, ce n’est pas juste la logique qui croit au profit et à la croissance. Il y a plein d’autre façons de faire et de penser l’économie afin de répondre aux enjeux économiques, environnementaux et sociaux d’aujourd’hui".

 

 

Flora Kocovski

Flora Kocovski est directrice de la SOWECSOM (Société Wallonne d'Economie Sociale Marchande). Elle est membre du jury du Master’s Thesis Award Cooperative Sustainable Economy depuis l’édition 2016. "Je suis engagée pour une autre finalité des entreprises. Il y a une quête de sens chez les citoyens qui est extrêmement transversale et touche la vie personnelle mais aussi professionnelle."